JASMINE RIVIERE

 

DEMARCHE ARTISTIQUE

Mon travail de collages a commencé à Carthage en 2007, où s’est fait entendre l’appel muet de ces « âmes qui passent » et demandent « à s’incarner dans la matière » 1.

 

LE CISEAU : OUTIL RITUEL


L’action du ciseau dans ma démarche artistique est centrale. J’utilise le ciseau comme l’outil rituel du Tcheu tibétain. Les projections graphiques imprimées sur les magazines, choisies d’une façon aléatoire, se présentent à  moi comme une démultiplication d’ego. L’utilisation de cette matière « maculée », surchargée, implique de la soumettre à un processus d’épure, de coupure, de découpe qui, symboliquement, s’apparente à la pratique du Tcheu. C’est ainsi que le papier fragile, périssable, éphémère, retrouve, sous le mordant du ciseau, une force, une énergie, une essence nouvelle. Cette matière « vivante », chatoyante de couleurs, vibrante de langages secrets, compose le substrat idéal à la création de mes collages.

 

ÉMERGENCE DES PERSONNAGES ET DES DAKINIS


La singularité et la quintessence de mes personnages – dakinis2 tibétaines, déités ou déesses antiques – êtres de nature composite, aux visages anthropomorphiques, aux regards hermétiques, émergent d’un processus de méditation, de visualisation où l’état de la conscience s’est modifié, s’est éclairé. L’émergence de la forme, de l’expression unique qui les caractérise naît du vide, de la vacance. 

Dans mes collages, l’emploi privilégié d’un fond blanc est le symbole de la vacuité. Sur cet écran, surgissent bien souvent des formes « primitives » et des « êtres archétypaux » que l’on peut retrouver dans les fresques, mosaïques ou sculptures des temps immémoriaux.

Le Sutra du Cœur ne dit-il pas : « La forme est vacuité, la vacuité est forme » ?

La soumission de mes personnages à un processus métamorphique corporel constant exprime leur nature impermanente. Fragmentées, démembrées, fissurées, ces créatures traversières bondissent par la seule énergie de l’expérience intérieure qui les anime. La recherche des parties manquantes (tel le mythe d’Osiris) est le levier samsarique qui leur fait parcourir le chemin des existences en quête d’Eveil.

 

ARCANES DE LA CREATION


Au départ, émerge une vision de personnage en suspension. Une dakini m’apparaît dans son essence, son énergie et sa forme. Le choix quasi « automatique » des fragments de papier nécessaires à sa matérialisation s’effectue mystérieusement. Une connivence surprenante s’établit spontanément entre forme et matière. 

Cette coïncidence heureuse contribue à l’aboutissement de mes créations. L’expression, la forme et le mouvement propre à chaque œuvre va s’opérer par la conjonction du vide créé par l’action du ciseau, le choix signifiant du papier utilisé et l’interaction entre l’œuvre et celui qui la regarde : le spectateur capte l’énergie de la dakini, qui le déleste de ses peurs, le conduisant peu à peu à sa propre libération.

 

L’HARMONIEUSE UNION DES CONTRAIRES


Le jeu subtil des postures, attitudes improbables, voire déjantées de mes personnages exprime leur aptitude à fendre la zone de turbulences des forces contraires. La vie et la mort, le samsara et le nirvana, l’existence et la non-existence viennent se confondre en un point secret d’union. Ce point, à lui seul, tient en équilibre le « véhicule » charnel du personnage.


[1] - Fabienne Verdier, in Revue « Sources » n° 24, octobre-décembre 2013, entretien avec Eric Tariant.
[2] - Divinité féminine de l’hindouisme et du bouddhisme vajrayäna, importante dans les pratiques tantriques du bouddhisme tibétain.

 


JASMINE RIVIERE
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